samedi 8 novembre 2014

Le cours dont vous êtes le héros : 1- Metro 2033 et les adaptations littéraires

Cela faisait longtemps que ce blog était inactif, mais voila un peu de nouveau.
Depuis quelques semaines j'ai lancé l'idée de proposer des cours de game design (et de game studies un peu aussi parfois) en live sur twitch. Chaque semaine, je présente un jeu pendant une heure, en décortique le fonctionnement et m'en sers comme illustration pour aborder un thème plus global lié à la conception et au développement de jeu vidéo. Ce blog servira donc à reprendre les vidéos (qui seront toutes hébergées sur ma chaine Youtube) et à fournir un résumé des points essentiels et des liens vers différentes ressources (articles cités dans la vidéo, compléments intéressants, etc.).
Les premiers cours sont encore peu aboutis au niveau technique, il y a beaucoup de choses à améliorer au fur et à mesure. La priorité était le contenu, et j'espère que sur ce point cela vous intéressera.

Le premier cours de la sorte était sur Metro 2033, et j'en ai profité pour parler des adaptations littéraires en jeu vidéo et des différents modes d'interaction que l'on peut rencontrer dans un jeu vidéo. Le replay du cours est ici :


En résumé, Metro 2033 se classe dans les adaptations "littérales" : le jeu tache de suivre au mieux la trame du roman éponyme, ce qui résulte forcément sur une certaine rigidité dans son déroulement, et un résultat très linéaire : peu importe ce que souhaite le joueur, il faut qu'il suive les pas du héros, son aventure est prédestinée.
C'est un jeu dans lequel l'interaction est illusoire : le joueur dispose autour de lui de tout un ensemble d'actionneurs qui en réalité ne servent qu'à décorer l'environnement, et quoi qu'il fasse il suivra une trame fixe (ou sera mis game over).
Pour aller plus loin, l'article sur les différents modes d'interaction (illusionnisme, participationnisme, esprit pionnier et jeu de basse) dont je parlais dans la vidéo.

Je posterai les résumés des cours suivants dans les jours qui viennent, et en attendant le cours numéro 4 portera sur Dishonored, les propositions ludiques, les systèmes de règles et les mécanismes de résolution. Rendez-vous lundi soir sur twitch pour le direct.

jeudi 21 mars 2013

Why so serious ?


J'ai eu très récemment l'honneur (ou la chance, c'est selon) d'être invité au salon Laval virtual pour y parler de serious game. Une présentation un peu « au pied levé » sur un domaine qui est plus dans ma spécialité d'enseignement (je donne un cours sur le serious game dans la communication depuis quelques années) que de recherche (plus centrée sur la question du récit interactif, même si j'applique ce dernier aux jeux, sérieux ou non). Ce fut en tout cas l'occasion pour moi de remettre en forme certaines idées sur le sujet, et d'échanger avec les participants au salon sur la question. Voici donc pour mémoire une forme de résumé de mon intervention, amélioré suite aux retours et discussions qui ont suivi.

Le serious game est clairement un domaine à la mode : depuis quelques années on voit fleurir des projets aux budgets non négligeables sur le sujet, et des sociétés entières se sont créées exprès pour répondre à la demande d'entreprises, d'organismes ou d'établissements d'enseignement en matière de jeux sérieux. Le hic, c'est que comme tout domaine à la fois récent et en vue, il se trouve confronté à quelques soucis de définition. D'une part parce que la communauté n'a pas forcément eu le temps d'en étudier et formaliser tous les aspects (dont certains n'apparaissent que dans la durée) et d'autre part parce comme pour tout « club à la mode », beaucoup d'intervenants ont intérêt à tirer et déformer la définition dans leur sens, histoire d'en être. On y trouve donc pêle-mêle des jeux éducatifs, des jeux publicitaires, des simulateurs d’entraînement, ou encore des jeux visant à changer la face du monde réel (comme Fold It ou les expérimentations de Jane McGonigal).

Parmi l'ensemble des définitions existantes, on peut trouver celles fournies sur le site du ministère de l'éducation nationale créé sur le sujet. Lors des discussions d'hier, la définition qui est finalement ressortie fut celle donnée par David Michaël et Sande Chen en 2005, à savoir qu'un serious game est un jeu dont la finalité première est autre chose que le divertissement. Cette définition laisse certaines questions en suspens (parle-t-on de la finalité du joueur ou de celle du concepteur du jeu ? Et ne peut-on pas en extrapolant appliquer cette définition à tout jeu du commerce, la finalité de conception de ce dernier étant après tout d'être vendu) mais répond de façon plutôt satisfaisante à la vision actuelle que l'on a du domaine, et permet d'y retrouver tous les serious game existant. Dans les domaines qui m'intéressent le plus, à savoir l'enseignement et la communication, j'ai donc tendance à restreindre cette définition à celle d'un « jeu conçu dans le but de transmettre un message (éducatif, publicitaire, de sensibilisation, de propagande, etc.) au joueur ». Cette définition présente aussi un problème (elle met de coté des jeux comme Fold It par exemple) mais me permet de cerner plus précisément les enjeux qu'il y a derrière cette sous-catégorie de jeux sérieux.

Il faut bien comprendre que TOUS les jeux transmettent un message à leurs joueurs et leur enseignent quelque chose. Chaque jeu, même le plus simple, transmet par ses mécanismes, sa présentation et son histoire certaines idées et pousse le joueur à acquérir certaines compétences et progresser pour le maîtriser. Dans le cadre des jeux vidéo, nous savons depuis longtemps que certains jeux aident à développer la coordination œil-main, que d'autres développent la perception, ou le sens stratégique, etc. La différence entre un jeu « normal » et un jeu « sérieux » est que dans le premier cas, la transmission du message et l'apprentissage sont des effets secondaires de la pratique du jeu, mais pas une finalité. Le joueur joue pour s'amuser et le concepteur du jeu a à cœur de vendre son jeu au plus large public possible divertir le joueur et lui faire passer un bon moment. A contrario, dans un jeu sérieux, la finalité du jeu, du point de vue du concepteur, est bel est bien la transmission d'un message ou d'une connaissance au joueur.

Mais je dis bien « du point de vue du concepteur », car du point de vue du joueur, un serious game reste et doit avant toute chose rester un jeu. Quelque soit votre message, si vous présumez que l'acquisition du message est la motivation du joueur, alors vous passez à coté de ce qu'est le serious game. Un individu qui souhaite apprendre ou maîtriser un domaine particulier aura généralement plus tendance à chercher cette connaissance auprès d'un enseignant ou dans un livre ou site web que d'aller télécharger un jeu abordant la notion. Et dans un contexte de communication autre que l'enseignement c'est encore plus flagrant : non, un joueur ne va pas jouer à votre nouveau serious game parce qu'il a une envie folle de connaître votre catalogue produit et vos slogans. Le joueur joue pour jouer, la transmission à travers le jeu reste pour lui un effet secondaire, pas sa motivation.

Dans Les jeux et les hommes, Roger Caillois avait très bien défini ce qu'est un jeu du point de vue du joueur, en tant qu'activité (bien activité, pas objet, il faut distinguer le jeu de l'accessoire – matériel ou logiciel – qui le rend possible) satisfaisant 6 propriétés essentielles : la liberté (le joueur joue parce qu'il en a envie, pas parce qu'on le force), la séparation (le jeu n'a pas d'incidence sur le monde réel, ce qui laisse loisir au joueur d'explorer et de se tromper sans craindre les conséquences de son erreur), l'incertitude (le résultat du jeu n'est pas connu à l'avance), la non-productivité (le jeu se suffit à lui-même, le joueur joue uniquement pour le divertissement que cela lui procure, pas pour « gagner » quelque chose de réel), la régulation (le jeu fonctionne selon des règles convenues entre les joueurs ou que le joueur s'impose à lui-même) et la fiction (le jeu permet prend place dans un imaginaire fictif). Dans le cadre des serious games, il faut retenir l'importance de la liberté et de la non-productivité : le joueur ne jouera que parce qu'il en a envie (pas parce qu'un enseignant lui dit de joueur pour apprendre, pas parce qu'un parent imposera le jeu comme un cahier de vacances, pas parce qu'un supérieur lui ordonne de jouer pour se former à un nouveau produit) et ne jouera que dans le but de se divertir. Présumer d'une autre intention de la part du joueur, c'est se tromper d'outil. Ce n'est plus faire du serious game mais de l'EIAH. Ce n'est pas un drame en soi (le serious game est un outil, pas une finalité, et vous pouvez considérer qu'un autre outil convient mieux à votre objectif de transmission d'information) mais cela change le mode de fonctionnement à mettre en place et les résultats à espérer. Pour qu'un serious game fonctionne, il va falloir que le joueur joue le plus possible, et pour qu'il joue le plus possible, il va falloir lui donner ce qu'il attend en tant que joueur, pas apprenant.

Reste à identifier ce que va attendre le joueur, d'une part en termes d'univers graphique et sonore (la présentation est importante, elle parle à l'imaginaire du joueur) et d'autre part en termes de dynamiques de jeu mises en place. Ron Edwards, auteur de jeux indépendants et créateur de The Forge, avait catégorisé il y a quelques années les attentes des joueurs selon 3 catégories : ludiques, narratives, et de simulation (catégories reprises également par M.J. Young dans certains articles, ce qui me pousse parfois à mélanger les deux).
Les joueurs à attentes ludiques jouent avant tout pour le gameplay. Ils attendent des mécaniques bien rodées et pensées, simple à prendre en main mais offrant de la profondeur stratégique. Ces joueurs sont particulièrement attentifs aux aspects compétitifs du jeu, au scoring et à son équité. Ce sont typiquement des joueurs d'échecs, de Starcraft 2 ou de jeux de plate-forme estampillés Mario. C'est d'ailleurs la catégorie de joueurs principale que l'ont retrouve chez les superplayers.
Les joueurs à attentes narratives vont eux plus s'intéresser au dépaysement que procure le jeu et surtout à la capacité de celui-ci de leur raconter une histoire et de les émouvoir. Ces joueurs vont s'intéresser au scénario, à la profondeur des personnages, aux développements et aux choix offerts. Au-delà du plaisir ludique, ils envisagent avant tout le jeu comme un media leur permettant de vivre une histoire en bénéficiant d'une immersion particulière, soit en interprétant le protagoniste, soit en évoluant au plus proche de ce dernier. Ces joueurs vont le plus souvent s'intéresser à des jeux de rôle, comme The Witcher 2 ou Skyrim, ou des jeux à vocation narrative forte, comme Heavy Rain ou The Walking Dead.
Finalement, les joueurs férus de simulation cherchent eux des jeux aux mécaniques fines certes, mais plus dédiées à la mise en place d'une immersion « au plus proche du réel » que d'une expérience compétitive. Ces joueurs veulent avant tout une expérience « réaliste » (si tant est que la notion de réalisme puisse vraiment s'appliquer au domaine vidéoludique). Ces joueurs sont prêts à jouer à des jeux déséquilibrés et à supporter des phases de jeu parfois ennuyeuses si elles correspondent à la réalité de l'univers reproduit dans le jeu. Ce sont typiquement des joueurs de Flight Simulator.
La bonne nouvelle avec ces catégories, c'est qu'elles permettent de se faire une idée de ce que peuvent attendre des joueurs. La mauvaise nouvelle, c'est que tous les joueurs que vous ciblez ne vont pas avoir les mêmes attentes, et que l'on ne peut pas savoir par défaut si un de ces trois axes correspondra plus qu'un autre à votre cible. En la matière, il faut bien convenir d'une part que sérieux ou non, il n'existe aucun jeu « universel » qui plaise à tous les joueurs et d'autre part, il est tout à fait possible que votre public cible ne soit corrélé à aucun de ces 3 grands axes. Tout ce que l'on peut vous conseiller en la matière, c'est de mener une étude préalable pour essayer de cerner les attentes de vos joueurs, ou par défaut croiser les doigts. Et n'espérez même pas faire un jeu qui équilibre les 3 axes : ce Saint-Graal vidéoludique n'existe pas, et tout ce que vous obtiendrez en suivant cette voie c'est une vague soupe au mieux médiocre sur tous les aspects, et l'on sait depuis longtemps que dans l'océan de jeux déferlant chaque année, les joueurs n'ont pas de temps pour s'intéresser à ceux qui sont simplement médiocres, même si gratuits.

Une fois ces attentes identifiées, charge à vous de savoir comment les satisfaire. Il existe dans chacun des domaines des outils pour bien concevoir un jeu et le valider (par exemple pour un jeu mettant l'accent sur les mécaniques ludiques et la compétition, vous ne vous en sortirez pas sans faire un peu de théorie des jeux, ne serait-ce que pour vérifier l'absence de stratégies dominantes). En tant que chercheur en récit interactif (et joueur ayant un profil plutôt « narratif ») je m'intéresse plus particulièrement aux structures de récit que l'on peut mettre en place à l'intérieur de jeux vidéos, et j'ai un faible affirmé pour le Périple du Héros. Cette structure de récit initiatique, mise à jour par J. Campbell, a l'avantage de porter en son cœur les bases nécessaires pour appuyer une expérience éducative, tant elle est centrée sur l'idée de progression et d'apprentissage du héros au travers de sa quête.

Ensuite, l'étape suivante, c'est de délivrer efficacement votre message au joueur, et là encore ce n'est pas toujours gagné. Il faut en effet non seulement s'assurer que le message sera bien délivré par le jeu, mais surtout s'assurer que ce soit bien le bon message qui soit délivré, et qu'il soit assimilé. Et un serious game, ce n'est pas un jeu dans lequel on ajoute un message. Dans le contexte d'un serious game, le jeu tout entier EST le message, et celui-ci doit ressortir dans chaque aspect du jeu (ses graphismes, ses sons, mais aussi ses mécanismes). Sous-estimer l'impact du gameplay même du jeu dans la transmission du message, c'est risquer de travailler à contre-sens et ruiner ainsi tous ses efforts.
Imaginons par exemple que vous conceviez un serious game sur la gestion d'établissement d'enseignement, pour vanter auprès de futurs étudiants la façon dont toute l'équipe pédagogique est au service de leur réussite. Vous aurez beau seriner votre message sur tous les tons, s'il apparaît que la meilleure stratégie dans votre jeu pour créer un établissement prospère est de licencier l'essentiel des enseignants, ne pas faire faire le ménage dans les salles et laisser les étudiants payer des frais d'inscription exorbitants pour finalement ne leur donner que quelques cours de seconde zone, vous pouvez être sur que les joueurs finiront par s'en rendre compte et que votre message sera complètement ruiné (et potentiellement votre établissement aussi, qui s'attirera une mauvaise réputation du même coup). Donc pensez bien votre message, et veillez à ce que votre jeu le transmette bien et ne le ruine pas par des mécaniques mal pensées.
Pour ce qui est de son assimilation, il faudra là encore voir en fonction du public que vous ciblez à quel point vous montrer subtil ou non. Clairement si vous travaillez trop en subtilité, vous courez le risque qu'une grande partie du public ne voit même pas le message et donc passe à coté de votre objectif. A contrario, si votre message est trop évident, vos joueurs risquent de le voir venir de très loin et donc de se fermer. Sans avoir là non plus de recette miracle (ce serait trop facile sinon), il faut garder à l'esprit qu'en tant que territoire d'expérimentation libre du joueur (rappelez-vous de l'aspect « séparé » du jeu selon Caillois), ce dernier favorise fortement les approches constructivistes par rapport aux modes de transmission plus directes. Le joueur devrait bien mieux assimiler le message s'il le reconstruit lui-même mentalement en jouant que si vous le lui délivrez de façon directe.

En définitive, il y a 3 grandes notions à retenir pour la conception d'un serious game : vous devez donner au joueur ce qu'il veut, à savoir du loisir, pour obtenir son attention, vous devez veiller à bien lui transmettre le bon message sans vous contredire vous-même, et la subtilité dans la transmission ne fait jamais de mal.

Et de temps en temps, mener une évaluation sur l'efficacité réelle d'un jeu donné ne peut pas faire de mal. Parce que là encore c'est malheureux à dire, mais trop souvent des jeux sont mis en place sans avoir au final de réel évaluation sur l'imprégnation du message délivré auprès du public.

Je remercie au passage Nicolas Conil, de KTM Advance, qui a fait de son coté une présentation très intéressante sur la pédagogie dans le serious game, ainsi que Sylvie Allouche (Université de Bristol), Camille Barot et Kevin Carpentier (Université de Technologie de Compiègne tous deux) pour les discussions qui ont eu lieu suite à cette intervention. Et je remercie grandement Domitile Lourdeaux (de l'Université de Technologie de Compiègne aussi) pour son invitation à cette conférence.

jeudi 6 décembre 2012

Pirates without a sky - 3

Après avoir parlé pendant les précédents billets de l'équilibre difficile de la presse vidéoludique entre lectorat et éditeurs, et de la position encore plus délicate de cette presse quand elle appartient directement à un éditeur de jeux, voici cette fois un billet sur un des aspects sociaux du fameux « Doritos Gate » : les événements organisés pour la presse, par les éditeurs.

Chapitre 3 : Party games


Dans le long rituel d'annonces, trailers et leaks qui permettent de faire vivre médiatiquement un jeu dans les mois qui précèdent sa sortie, un des aspects jusque là les moins connus du grand public est celui des événements organisés pour la presse, principalement des soirées et des voyages.
A l'origine ces événements ont deux buts avoués : d'une part permettre de présenter des jeux en avant-première aux journalistes qui souhaiteront en parler (utile quand on veut faire une preview un peu de temps avant la sortie du jeu dans le commerce) et d'autre part donner là encore aux journalistes concernés l'occasion d'essayer un jeu dans des conditions « optimales » (confort, détente, configuration de machine, etc.). Mais si ces événements et présentations sont de très bonnes sources d'informations exclusives (et l'exclusivité est un ressort clé dans la concurrence entre rédactions) et parfois de rencontres et d'interviews avec des développeurs, designers et concepteurs de jeu, c'est aussi l'occasion d'établir une relation de convivialité et de sympathie entre journalistes et chargés de relations presse, une proximité qui peut avoir une influence parfois mal prise en compte sur la façon de parler des jeux concernés.
Soyons honnêtes, on n'achète pas des journalistes avec deux bières et trois petits fours (où alors c'est qu'ils sont encore plus mal payés que ce que je pensais), mais on développe grâce à ces événements une connotation agréable autour des jeux concernés, et une sympathie qui même si elle est totalement sincère, peut toujours s'avérer problématique lors de situations de tensions (les situations de tensions entre presse et édition, il peut y en avoir, et il est toujours plus compliqué de devoir se fâcher avec un ami qu'avec un RP inconnu). D'ailleurs, comme le mentionne Erwan Cario dans le podcast de Silence, on joue ! consacré la semaine dernière à la question, si les éditeurs dépensent autant sur ce genre d'événements, c'est qu'ils estiment que cela vaut le coup en terme de retour sur investissement.

Des jeunes qui sont dans l'ambiance


Quand on suit certains journalistes spécialisés en jeux vidéo sur twitter, on a parfois l'impression que pour être dans le coup, il faut être à certaines soirées. Les soirées de lancement d'une part, qui ont généralement lieu dans une grande enseigne de distribution, sont ouvertes à tous et permettent aux joueurs les plus pressés d'acheter leur copie du dernier jeu à la mode la nuit même de sa mise en vente, et d'autres part les soirées plus confidentielles, réservées aux journalistes et aux blogueurs les plus en vue.
 
Je ne vais pas revenir en détail sur le concept marketing que sont les soirées de lancement où les éditeurs et commerçants jouent au maximum sur l'attente créée autour d'un jeu pour mettre en scène une dynamique d'achat précipité et utiliser cette image comme argument de vente ensuite (si les gens font la queue pour l'acheter le jour même, c'est bien que ce jeu doit être le jeu de l'année, n'est-ce pas?). Je noterai surtout que comme il a déjà été dit, toute la valse de critiques et de notes de la presse vidéoludique ne représentent plus grand chose quand de toute façon les joueurs vont acheter les jeux avant même que les premiers tests soient publiés. Dans la couverture journalistique d'un jeu, la critique n'est que la conclusion du dossier, ce qui compte maintenant, c'est tout ce qui se dit avant la sortie officielle du jeu.
Et justement pour cela il y a les soirées presse, des soirées pendant lesquelles les journalistes se voient présenter un jeu, parfois peuvent l'essayer (pas tout le temps, cela dépend aussi du niveau de finition du jeu), le tout souvent dans un endroit agréable, avec boissons et petits fours pour aider tout le monde à se sentir l'esprit détendu. Avec un peu de chance il y a moyen d'interviewer un game designer ou un des graphistes du jeu, ce qui assure un reportage qui intéressera le lecteur et puis c'est toujours l'occasion de revoir quelques confrères et d'échanger informations off et bons plans.
Pourquoi en parler ? En quoi cela peut-il être un soucis ? On peut se le demander. Des journalistes qui vont rencontrer des créateurs et reviewer des jeux en avant première, c'est leur métier non ? Le soucis c'est souvent le cadre. L'air de rien l'alcool et la bonne ambiance qui accompagnent ce genre d'événements sont quand même de nature à améliorer sensiblement l'impression, si ce n'est le sentiment, qu'un journaliste va ressentir autour d'un jeu. Quand on doit animer une communauté, on sait que tout le monde est beaucoup plus réceptif et conciliant quand il a le ventre plein et un verre à la main. De même, le contexte festif facilite le développement de relations de sympathie (et avec le temps d'amitié) entre journalistes et représentants des maisons d'édition. Finalement c'est un petit milieu, et on trouve souvent des deux cotés des passionnés qui ont souvent de bonnes raisons de s'entendre. Mais ces sympathies ne facilitent pas toujours les choses, quand par hasard un jeu s'avère moins bon que prévu ou quand une fois dégrisé, le journaliste se rend compte que finalement il n'a pas vu grand chose du jeu et serait bien en peine pour en parler autrement qu'en reprenant à son compte le communiqué de presse qui lui a été lu pendant la soirée.
Cela fait donc de ces soirées un outil dangereux à manier pour beaucoup de journalistes, au point même que certaines rédactions édictent en règle que le journaliste se rendant à une soirée de ce genre ne doit pas faire la critique finale du jeu concerné, histoire d'assurer une pluralité de points de vue et conserver au niveau de la rédaction l'objectivité qui pourrait se perdre au niveau individuel. Mais ces soirées sont souvent un mal nécessaire, et finalement restent peu de chose à coté des press tour, qui pour le coup sont de véritables machines à vendre du rêve à la presse.

Vers l'infini et au-delà


A l'origine des « voyages de presse », on peut souvent trouver des arguments potentiellement défendables : un éditeur qui ne veut pas que des copies de son jeu circulent en avance sur la commercialisation (par crainte entre autre du piratage), qui commercialisant son jeu sur plusieurs plate-forme (ou sur PC) veut s'assurer que les journalistes puissent tester le jeu sur des configurations de machines aptes à fournir une expérience de jeu à la hauteur ou plus simplement qui préfère que les journalistes essaient le jeu dans le calme et le confort d'un cadre prévu à cet effet plutôt que dans une salle de rédaction bruyante et contexte à des interruptions diverses (téléphone, collègues, etc.) ou contexte plus compliqué entre autre (pour les pigistes n'ayant pas de bureau et travaillant chez eux, avec autour du jeu tout un contexte familial à gérer, cela existe après tout).

Ceci dit en quelques années, les éditeurs sont passés de « inviter les journalistes 48h dans un hôtel pour qu'ils testent le jeu en toute quiétude » (ce dont Arrêt sur images parle ici [abonnement payant]) à « organiser un voyage au bout du monde avec visites et activités et éventuellement l'occasion de mettre les mains 30 minutes sur le jeu histoire de ». Clément Apap parlait justement la semaine dernière dans Silence on joue ! d'un voyage de 5 jours organisé autour d'un jeu et où il avait refusé d'envoyer sa rédaction, et dans un autre registre, on peut trouver sur jeuxactu.com ainsi que sur Nolife Online [abonnement payant] des images du press tour organisé par Square-Enix autour de Sleeping Dogs (oui, ils ont emmené les journalistes dans un strip club ou assimilé, tout le monde voit le rapport avec la couverture d'un jeu, n'est-ce pas?).
 Évidemment les journalistes qui participent à ces voyages le font avec les mêmes raisons que pour les soirées presse : découvrir un jeu en avant-première pour se faire une idée dessus et interviewer quelques personnes intéressantes. Mais encore plus que pour les soirées presse on peut se demander à quel point les bonnes impressions créées par ces voyages ne sont pas de nature à biaiser l'impression que les journalistes auront sur les jeux.
Je suis meneur de jeu depuis une quinzaine d'années, et je sais que quand je veux vraiment réussir une partie de jeu de rôle, rien de tel que de travailler un peu l'ambiance autour de ma partie. Une musique appropriée en fond sonore, un peu de décoration, un repas dans le thème, rien de tel pour renforcer l'immersion des joueurs, et passer du statut de « bonne partie » à « partie mémorable ». Si mes joueurs se prennent au jeu et passent un bon moment, ils auront de toute façon tendance à fermer les yeux sur les quelques défauts techniques de la partie et à n'en garder que le positif.
Un press tour, c'est un peu la même idée à une autre échelle : quand un journaliste vient de passer 3 jours à explorer Hong Kong et à jouer au gangster dans une suite d’événements organisés autour du thème d'un jeu et que finalement il lance le jeu dans un cadre étudié pour, avec un petit quelque chose à grignoter et des gens autour présents pour veiller à ce que tout se passe bien, son expérience est forcément différente par rapport à ce qu'il vivrait s'il lançait le jeu chez lui, avec des factures qui traînent sur la table, des voisins qui font du bruit et un colocataire/parent/enfant/conjoint qui l'interrompt pour telle ou telle raison. Le graal vidéoludique, l'aboutissement de ce que doit être un bon jeu, c'est cet état d'immersion désigné par les anglo-saxons par suspension of disbelief (oui désolé je le laisse en Anglais, les tentatives de traduction française de l'expression sont vraiment trop pataudes), le moment où le jeu vous extrait de votre quotidien et où vous jouez, absorbé par le jeu. Dans un press tour, tout un contexte est créé autour du jeu pour faciliter cette immersion, comment un journaliste peut-il alors juger de la vraie capacité du jeu à l'emporter, alors que la moitié du boulot est déjà faite avant qu'il ne prenne la manette ?

Comme sur les sujets précédents, il est évident que le contexte d'un press tour ne va pas faire qu'un journaliste va se mettre d'un coup à encenser un jeu indubitablement mauvais. Là encore, l'influence se fait à la marge, entre un 16 et un 17 sur 20 (pour ceux qui aiment tant les notes), mais elle ne peut pas être complètement niée, et plus on observe les dépenses faites par les éditeurs pour vendre leurs jeux à la presse, plus on est en droit de s'inquiéter du biais que cela peut impliquer dans la couverture journalistique des jeux.
Et juste pour vous faire une idée, rien que l'aller-retour à Hong Kong coûte facilement un millier d'euros. Une pige pour feu Mer7 se négociait aux alentours de 50€. Je n'irai pas accuser les journalistes d'être vendus aux éditeurs (je n'ai rien me permettant de l'affirmer, et ceux que je connais me semblent quand même faire des efforts pour garder la tête froide), mais la tentation doit quand même parfois être grande.


A suivre...

lundi 3 décembre 2012

A never-ending Jyhad

Depuis vendredi la WiiU de Nintendo a débarqué officiellement dans les magasins et dans les chaumières des plus passionnés. Spécificités techniques, offre de jeux, pénuries plus ou moins organisées (unboxing, hum hum...), tous les aspects traditionnels d'un lancement de console vont être largement couverts par la presse habituelle qui voit là l'occasion de très bons sujets à traiter en attendant les sorties de Noël. Les lancements de nouvelles consoles, j'en avais déjà parlé ici-même au début de ce blog, je ne vais donc pas revenir dessus maintenant, surtout que je n'aurai rien à ajouter par rapport à ce qu'on trouve déjà dans le domaine. Mais je vais ici profiter de cette sortie pour lancer une question qui occupera très probablement les historiens du jeu vidéo dans quelques années quand ils reviendront sur cette période. Je vous averti, il s'agit là de pure spéculation intellectuelle par forcément intéressante pour le grand public, du fluff d'universitaire en quelque sorte.

Donc la question pernicieuse que je me pose en ce moment, est de savoir si comme la plupart l'indiquent la WiiU marque bien le début de la 8° génération de consoles, ou si elle ne serait pas en réalité le dernier avatar tardif de la 7° génération, celle de la Wii, de la PS3 et de la Xbox 360 (je vous avais prévenu hein).
Si l'on part simplement du constat qu'une console appartient forcément à la génération suivant celle de sa prédécessrice, le calcul est simple : la Wii est reconnue comme console de 7° génération, après la Gamecube (6°), la Nintendo 64 (5°), la Super Nintendo (4°) et la NES (oui, la NES est l'antédiluvien du clan Nintendo, si vous voyez un jour une NES se réveiller, courez, vite). Cependant, si l'on cherche à marquer par cette notion de génération des phases d'évolution du matériel plus qu'un simple ordre de succession, la question devient plus compliquée, chronologiquement et surtout technologiquement.
Sur le plan de la chronologie, la WiiU arrive à une période charnière. Les consoles dites next-gen se font vieillissantes, vieillissement qui appelle à une nouvelle génération de matériel, mais aucune autre console de 8° génération n'a été présentée ni annoncée (à part quelques leaks opportuns, mais c'est surtout une question de communication et de marketing). Chronologiquement donc, la WiiU sera probablement plus proche en terme de date de sortie des prochaines consoles 8° gen qu'elle ne l'est de la PS3 (qui a fêté ses 6 ans le mois dernier), mais elle pourrait être relié à n'importe lequel des deux ensembles (7° ou 8°) sans que cela ne crée de réelle incohérence.
Du point de vue de la technologie utilisée (et du line-up de lancement), la question est encore plus intéressante. Au final la dernière Nintendo semble plus ou moins se contenter de rattraper ses concurrentes de Sony et Microsoft : résolution HD (1080p) et portage de jeux clairement estampillés « 7° génération », cela évoluera potentiellement avec les jeux qui sortiront dans les deux ans à venir, mais la console ne semble pas taillée pour aller plus loin. Elle rattrape donc mais ne dépasse pas, Nintendo préférant éviter la course à la puissance (graphique notamment) et comme avec la Wii jouer sur un nouveau contrôleur et de nouvelles possibilités de gameplay. Mon intuition (pour le coup étayée par zéro sources, je joue juste au pifomètre et je peux me tromper) me laisse à penser que les prochaines PS et Xbox iront jouer du coté des résolutions 4K natives en stéréoscopie, ou en tout cas essaieront de s'en approcher. La WiiU a donc de fortes chances d'être battue à plat de couture au jeu des résolutions, et sa techno et ses possibilités, la rapprochent davantage d'une 7° génération tardive que d'un début de 8° génération.
Donc autant chronologiquement que technologiquement, l'ancrage de la WiiU comme « première console de 8° gen » ne résistera pas forcément à l'épreuve du temps. La Wii elle-même aurait pu être sujet à un débat similaire sur le plan technique (c'est finalement une Gamecube rafraîchie avec de nouveaux contrôleurs) mais sa date de sortie, prise entre celle de Xbox 360 et celle de la PS3, a fait que la question ne s'est pas vraiment posée (parce que des générations qui se chevauchent, c'est trop compliqué à suivre). Au final cette question n'intéressera donc que ceux qui aiment se prendre la tête, argumenter et classifier les choses, mais bon, ça n'est pas forcément moins intéressant qu'un n-ième unboxing de console (« Oh ! Elle est noire ! Quelle surprise ! »).

Je vous avais prévenu, ce soir c'était juste un billet de pure masturbation intellectuelle. Si vous avez lu jusqu'au bout et que vous vous êtes ennuyés, vous ne pouvez vous en prendre qu'à vous-mêmes.

vendredi 23 novembre 2012

Pirates without a sky - 2

[Mise à Jour : lundi 26 novembre 2012 :
  • mise en évidence de certains liés que l'on m'a rapporté comme étant peu visibles
  • correction d'une erreur factuelle (comme quoi journaliste est un métier, et visiblement pas le mien)
  • passages graissés pour clarifier certaines choses et éviter tout malentendus ]
Voici finalement plus vite que prévue la suite de mon analyse personnelle sur la fameuse « Affaire Doritos » (qui ne se sera jamais fait autant de publicité gratuite qu'en ce moment). J'ai eu en effet un échange par twitter avec Grégoire Hellot (patron des éditions Kurokawa, interprète franco-japonais, scénariste de BD et pigiste pour Gamekult) autour de la situation actuelle d'IG Magazine.

 

Chapitre 2 : La Mécanique des Ombres


Il faut voir qu'avec l'avis de décès de Mer7, la presse JV papier se retrouve limitée désormais à 4 titres : un magazine réservé au jeu PC (Canard PC), un réservé aux RPG (Role-playing Game), un pour les jeux de stratégie (PC4WAR), et un magazine généraliste : IG Magazine. Comme offre, c'est très peu, et très segmenté, pas vraiment une situation saine.

Dans ce tableau, IG Magazine aurait pu ressembler au prototype de la presse JV telle que je l'envisageais dans mon billet précédent : à l'origine sans publicité (point qui a malheureusement changé), un contenu éditorial fouillé, pas de notes (qui sont souvent l'élément sur lequel se focalisent les éditeurs), financé (là encore à l'origine) uniquement par ses lecteurs. Mais à mes yeux IG Magazine souffre aussi d'un défaut notable pour une presse qui se veut indépendante : le magazine appartient au groupe Ankama (plus précisément à la branche Ankama Presse), groupe qui s'est monté et vit en grande partie de l'édition de jeux vidéos (particulièrement les licences Dofus et Wakfu, qui tout confondu - jeux, publications, produits dérivés – doivent représenter une partie non négligeable du chiffre d'affaire du groupe).
Cette situation d'appartenance directe à un éditeur du milieu n'est à mes yeux pas un gage d'indépendance, ce que conteste Grégoire Hellot (scénariste pour IG Magazine de la BD « Haut Bas Gauche Droite ») qui considère qu'il n'a jamais été influencé ou entravé dans son métier. Il a d'ailleurs été déjà interrogé par Merlanfrit au sujet de ses relations avec Square-Enix. Notre échange commence ici et comme il est quand même difficile de faire du fond en 140 caractères (certains y arrivent très bien, personnellement je suis trop verbeux pour ça et je manque d’entraînement), j'ai décidé de développer mes arguments plus avant sur cette page, que ce soit sur l'aspect de la dépendance rédactionnelle que sur celle de la dépendance personnelle des journalistes.

Pour clarifier les choses : j'apprécie beaucoup IG Magazine, le travail de ses journalistes et celui de G. Hellot. J'ai en effet le biais de ne critiquer que les personnes dont je pense qu'elles peuvent faire encore mieux (ça doit être mon conditionnement de prof). J'ai même recommandé vivement à mon établissement de prendre un abonnement à IG Magazine pour la bibliothèque universitaire, genre de recommandation que je ne fais que rarement, et jamais à la légère. L'idée de ce billet n'est pas d'en faire de grands méchants corrompus, mais une fois encore de montrer comment le contexte dans lequel est réalisée une publication presse peut influer sur la façon dont elle présente le milieu du jeu vidéo et sur la réception de ses articles par le public.
De même il ne s'agit pas de porter accusation contre Ankama et IG Magazine. Il ne s'agit pas de dire « ils font ceci, ils font cela » mais d'illustrer en quoi la position d'IG Magazine peut être source de conflit d'intérêt et peut induire un biais dans sa ligne éditoriale, de façon volontaire ou non.

 

La situation d'IG Magazine


IG Magazine est donc l'une des publications d'Ankama Presse, filiale du groupe Ankama dédié aux publications de magazines « haut de gamme » (volume de page, qualité de papier, contenu éditorial). IG Magazine fait partie des quatre trois publications actuelles d'Ankama Presse aux cotés d'Akiba Manga (un magazine de prépublication de manga) [arrêté officiellement en décembre 2011], Dofus Mag (magazine dédié aux licences Dofus et Wakfu et à leurs différents produits) et Mini-Wakfu Mag (magazine pour les 7-14 ans, centré sur l'univers de Wakfu). Selon les chiffres trouvés sur le site de l'afjv (mais qui ont peut-être besoin d'être réactualisés, je suis preneur de chiffres plus récents s'ils sont disponibles), IG Magazine est le troisième titre d'Ankama Presse en terme de volume de tirage. La direction de publication est d'ailleurs assurée par Anthony Roux, le « An » de Ankama.

La rédaction d'IG Magazine est donc prise dans une situation de conflit d'intérêt par rapport aux productions Ankama. D'une part étant un élément du groupe Ankama elle se trouve sous la direction d'une société qui est parti pris dans l'édition de jeu vidéo, d'autre part elle est intégrée dans une société de presse qui vit majoritairement de l'exploitation des licences Dofus et Wakfu. Voilà qui pourrait ne pas encourager la rédaction à dire du mal des licences en question, ou même les pousser à en faire volontairement la promotion.
 La rédaction d'IG Magazine a-t-elle donc cédé en faisant articles ou critiques de complaisances ? J'ai reparcouru pour l'occasion les exemplaires du magazine que j'avais sous la main, et je n'ai pas trouvé grand chose, si ce n'est une brève critique d'Islands of Wakfu (IG Magazine numéro 14, page 13) qu'on peut tout de même trouver un poil enjouée et enthousiaste par rapport aux autres évaluations du jeu par le reste de la presse, et sinon de temps en temps des portraits ou interviews de personnes travaillant sur des projets Ankama, pas en surnombre par rapport à l'actualité, mais interviewer ses collègues de travail, cela semble forcément décalé.

Ceci dit, même si IG Magazine n'est pas pris en situation manifeste de « on utilise une de nos publications pour faire la promo de nos produits », nous pouvons nous pencher sur toutes les façons dont ce genre de relation édition-presse si rapprochée pourrait se traduire en biais de l'information.

 

Détournement d'information 101


En définitive, à partir du moment où une rédaction est dirigée par un objectif de promotion autour d'un jeu ou d'un ensemble de jeux, il existe plusieurs outils pour le faire, qui selon les cas peuvent impliquer les journalistes eux-mêmes ou simplement la tête de la rédaction (rédacteur en chef et directeur de publication)
  • faire des critiques positives : dans le milieu, tout le monde pense immédiatement à la critique de complaisance, et à son avatar mathématique : la note. La note résume tout, la note parle tout de suite au lecteur pressé, la note est reprise automatiquement par les algorithmes Google, et je suis à peu prêt sur que les éditeurs ont sous la main des modèles mathématiques leur permettant de calculer en quoi un point de plus ou de moins se traduit en nombre de ventes (et s'ils n'ont vraiment pas cet outil, je suis sur qu'un mathématicien aguerri peut le leur faire). C'est le sommet de l'iceberg, ce qu'on remarque le plus, et il arrive de temps en temps dans certaines rédactions qu'un éditeur appelle pour voir sa note revue à la hausse d'un point ou deux, arguant que le journaliste ayant critiqué le jeu a du « avoir une mauvaise version », « le tester dans de mauvaises conditions », « a du rater le patch sorti très récemment », etc. Dans une publication qui évite le raccourci de la note, les choses sont un peu plus floues, et dépendront de la façon dont la critique sera rédigée : minimiser les défauts, les encadrer de qualités, même moindres pour les annuler (« le scénario a quelques lacunes mais le chara-design est tellement mignon ») et terminer son texte sur une série de notes positives, pour laisser en définitive une bonne impression du jeu.
  • occuper l'espace médiatique : le simple fait de parler un peu plus du jeu que nécessaire peut suffire. Une ou deux news supplémentaires, une interview, un portrait ou un reportage arrivant au moment opportun pour renforcer une campagne de promotion. Correctement distillé ce genre de procédé passe sans soucis, et apporte le petit surplus de couverture média dont un jeu peut avoir besoin pour faciliter un lancement ou une grosse mise à jour. La méthode la plus subtile étant encore de faire de temps en temps un dossier thématique dans lequel les jeux dont on souhaite parler s’inséreront le plus naturellement du monde. Pas besoin de corruption de journaliste ou de pressions, tout semble parfaitement naturel à tout le monde, y compris au lecteur.
  • jouer le différentiel : au lieu de surjouer les produits locaux, produire une critique ciblée de la concurrence. Une méthode là encore toute en subtilité, visant simplement à se montrer un tant soit peu plus critique dès lors qu'on parle d'un produit entrant directement en concurrence d'un jeu maison. En plus les journalistes qui sortent les crocs, ça renforce l'adhésion des lecteurs, qui sentent qu'on ne les prend pas pour des jambons et qu'on défend leurs intérêts. Là aussi il est possible de jouer en plus sur la sous-exposition médiatique pour ralentir l'effort du concurrent visé, en ne lui accordant pas tous les à-coté médiatiques que l'on proposerait généralement, et même en retardant la critique (parce que passer complètement à coté du jeu ne se fait pas, mais la critique peut être « en retard » et publiée un ou deux mois après la sortie du jeu).
Ces deux catégories de procédés peuvent se faire tout en douceur, sans même qu'il soit besoin qu'un patron exigeant vienne poser sa main sur l'épaule d'un rédacteur. Il suffit de trouver la bonne idée de dossier, le bon timing, l'occasion (« Tiens untel passe sur Paris cette semaine, ça pourrait être l'occasion d'une interview ») et tout le monde va trouver cela très naturel. Parce que des méthodes pour gérer une rédaction, celles qui passent le mieux sont toujours celles qui se font en adhésion avec l'équipe.

 

Le rouage parfait dans la machine


D'ailleurs, de la même façon qu'il existe plusieurs façons de biaiser le traitement de l'information en faveur d'un produit, il existe plusieurs façons de s'assurer que la rédaction d'un magazine le fasse. Et quand un éditeur possède son propre organe de presse, les choses peuvent parfois être faites en toute subtilité.

Là encore, on pense tout de suite à la méthode violente et qui clashe « Tu as dit du mal de notre jeu ? Tu es viré ». Dans la pratique ça ne se fait pas, ou alors très rarement. Même si la méthode pourrait permettre de mettre au pas une équipe en faisant un exemple, c'est le genre de chose qui se remarque de l'extérieur, avec un journaliste au chômage qui va expliquer sur son blog ou sur twitter pourquoi il a été mis à pied et des lecteurs qui vont avoir tendance à suivre le dissident (et parfois des confrères à lui qui décideraient de poser leur démission du même coup par principe) dans ses nouvelles aventures.
Par contre, un journaliste faisant partie d'une société vivant de l'exploitation d'un ensemble de licences, surtout en période de crise économique, comprendra généralement assez vite que la survie financière de son employeur, et donc la pérennité de son emploi, sont liées au succès des licences en question. Le journaliste concerné aura du coup fatalement tendance à avoir cet aspect à l'esprit quand il écrira ses articles, même inconsciemment. Et si ce n'est pas le cas du journaliste individuellement, cela pourra être celui du rédacteur en chef, ou du directeur de publication.
Et le must, tout simplement, le biais simple et naturel, est encore celui de la composition de la rédaction. Et les instances dirigeantes de la publication n'ont même pas besoin d'intervenir là-dessus, tant le procédé se fait tout seul. Dans un milieu comme celui de la presse de jeu vidéo, peuplé de passionné, les journalistes qui vont se tourner spontanément et candidater dans un groupe sont vraisemblablement dès le départ des gens qui pensent du bien du groupe en question et de ses productions. Car finalement il n'y a pas meilleurs ambassadeurs pour une marque que ceux qui en sont déjà les fervents admirateurs.
C'est pour cela que sans remettre en cause l'intégrité professionnelle et personnelle des journalistes, et sans avoir besoin d'aller chercher dans des théories de manipulations et pressions sur fond de billets verts et cigares cubains, je considère qu'à partir du moment où un magazine de presse JV appartient à un éditeur, il existe un ensemble de biais possibles sur son traitement de l'information, qui me pousse à garder des réserves sur la publication et sa ligne éditoriale. Et comme je l'ai dit précédemment, la relation presse-lecteur est basée sur la confiance, et la confiance ne se décrète pas, elle s'instaure par les actes.

Donc je ne dis pas qu'IG Magazine est un magazine corrompu, je ne dis pas que ses journalistes sont vendus et complotent contre les simples consommateurs de jeux que nous sommes, mais je précise simplement en quoi l'appartenance d'un magazine de jeu vidéo à un éditeur de jeu inclus des possibilités de biais dans sa ligne éditoriale, biais qui entachent fatalement la confiance d'un lecteur critique. Et quand l'offre de presse JV semble en train de se réduire, se retrouver face à des canaux de communication appartenant à des éditeurs du milieu ne me semble pas une situation enthousiasmante.


Pour en revenir à Grégoire Hellot, j'ai justement l'impression qu'il entre dans cette catégorie de journalistes passionnés qui ont à cœur de défendre les jeux qu'ils aiment. Il n'est donc pas question pour moi de remettre en cause son honnêteté, qu'il défendra sûrement avec d'autant plus de ferveur qu'il est convaincu que ce qu'il fait est bien, mais de pointer le fait qu'il est justement un des rouages involontaires d'une machine médiatique visant plus à vendre du jeu qu'à informer. Mais c'est un aspect que je développerai davantage dans un prochain billet.




PS : Et comme ce qui va sans dire va toujours mieux en le disant, dans la mesure où j'ai nommé en cette page un ensemble de personnes et sociétés (principalement Grégoire Hellot, IG Magazine et Ankama), il va de soit que si elles souhaitent répondre à ce billet, je me ferai un devoir de leur accorder ce droit de réponse sous la forme d'un billet complet. Si tel est le cas, que les personnes concernées me contactent, par commentaire ou via le formulaire de contact présent sur cette page.

mercredi 21 novembre 2012

Pirates without a sky - 1

Depuis quelques semaines le petit monde de l'internet bruisse d'une rumeur journalistique dont le son n'est pas sans rappeler celui de paquets de chips froissés, mais sans pour autant résonner en France avec toute l'ampleur que lui a accordé la presse vidéoludique anglo-saxonne. L'affaire Doritos, ou Doritosgate, a en effet fortement détonné hors de nos frontières, avec quelques licenciements à la clé (dont celui de Robert Florence, dont le seul tort fut de révéler l'affaire au grand jour, ce qui n'est pas la meilleure image que son employeur pouvait donner).
Si vous n'avez pas encore entendu parler de cette affaire, je vous conseille en premier lieu d'aller faire un tour sur cet article de Merlanfrit ou celui-ci sur le Journal du Gamer qui expliquent déjà tout cela très bien, et qui aident aussi à commencer à cerner les raisons pour lesquelles la presse française fait le dos rond en attendant que ça se tasse (personnellement je trouve quand même particulièrement savoureuses les explications annonçant que « ça n'intéresse pas nos lecteurs » de certains rédacteurs de presse JV française, comme ça n'intéresse pas les spectateurs de journaux télévisés de connaître les accointances des rédactions avec des personnalités politiques ou des sociétés privées).
Ceci étant, Robert Florence a écrit lui même « Don't investigate the people, investigate the system ». Voici donc une série de billets qui devraient justement permettre de mieux comprendre en quoi le système actuel de la presse de jeu vidéo est un système profondément problématique, qui provoque ou entretien des abus et fautes de déontologie parfois manifestes.
(mais si vous êtes sages, on parlera peut-être aussi de quelques personnalités marquantes sur le sujet dans un prochain billet)

Chapitre 1 : La quête de la Triforce


Au commencement, le système de la presse vidéoludique repose en équilibre instable sur 3 grands acteurs qui en rythment l'existence : les éditeurs, les rédactions, et les lecteurs/joueurs. Nous allons voir que ces trois entités n'ont pas des objectifs communs, loin de là, et que de leur rapport de force peut aller de la synergie à l'affrontement d'intérêts manifestement opposés.
Pour commencer les éditeurs sont ceux qui publient et commercialisent des jeux. Leur objectif dans l'existence est simple : vendre des jeux pour gagner de l'argent. Et il ne s'agit pas d'une critique, car c'est bien ce qu'on attend d'eux. L'argent qu'ils gagnent va en effet permettre de financer le développement de nouveaux jeux, entretenir l'offre, et ça tombe plutôt bien, parce qu'en tant que joueur justement j'aime bien acheter des jeux pour y jouer.
Ensuite viennent les rédactions, qu'elles soient papier (même s'il n'y en a plus beaucoup), télévisées ou web. Leur objectif premier est là encore de gagner de l'argent, que ce soit via les lecteurs (qui achètent des numéros ou s'abonnent) ou via les annonceurs (qui apportent des contrats publicitaires). Là encore vouloir gagner de l'argent est à mon sens un objectif tout à fait normal (auquel s'emploie d'ailleurs la majeure partie de la population). Une rédaction qui ne gagne pas d'argent n'a pas les moyens de payer ses journalistes, imprimer ses numéros, et à terme ça donne des histoires comme celle de Mer7, avec des lecteurs tristes et des gens qui pointent à Pôle Emploi.
Pour gagner de l'argent, une rédaction informe les lecteurs sur les nouveaux produits qui vont sortir, a priori en tentant de fournir l'information la plus utile possible : quels sont les nouveaux jeux ? sont-ils intéressants ? quelles sont leurs qualités/défauts ? À quel public s'adressent-ils ? Une rédaction doit donc vraisemblablement fournir une information de qualité, et être dans le tempo (parce que personne ne s'intéresserait à un magazine qui critiquerait les jeux 3 mois après leur sortie).
Finalement viennent les lecteurs/joueurs. Leur objectif est généralement de se tenir informés, et d'avoir les éléments leur permettant de choisir au mieux les jeux qu'ils vont acheter (parce que leur budget et leur temps sont limités et qu'ils n'ont pas envie de gaspiller les deux sur des jeux qui ne le méritent pas). Ces derniers veulent en général une information de qualité, utile, et rapide (parce qu'il faut bien savoir si le dernier Call of Solid Warfare Fantasy qui est sorti hier mérite d'être acheté pour jouer ce week-end).

S'en suit une chaîne de transmission d'argent et d'information entre éditeurs, rédactions et joueurs. Pour pouvoir fournir l'information la plus rapide et la plus pertinente possible, les rédactions passent par les éditeurs, qui peuvent fournir du pré-contenu (nouvelles, previews, kits presse en avance sur les dates de sorties officielles, accès à des interviews ou démonstrations behind closed doors, etc.). Ce contenu va permettre de satisfaire les attentes des joueurs, qui sur les grosses sorties veulent en savoir le plus le plus tôt possible, et qui veulent (pour ceux qui n'achètent pas aveuglément en précommande après avoir vu un trailer et deux screenshots) des critiques de jeu arrivant assez tôt pour savoir s'ils vont acheter ou non ce jeu qui vient de sortir. Mais ce contenu va aussi participer de la stratégie de communication des éditeurs, qui vont ainsi créer l'attente et l'envie, en entretenant le discours public autour de leurs produits et en l'associant aux différents événements marquant la sortie d'un jeu (bêtas, démos lors de salons consacrés, soirées de lancement, etc.).
En même temps les mêmes éditeurs vont passer avec les rédactions des contrats publicitaires qui financent en grande partie le milieu (sur un site gratuit, il faut bien que l'argent vienne de quelque part). Les rédactions, qui donc normalement sont censées informer le public au mieux, se trouvent ainsi doublement dépendantes des éditeurs de jeux. Financièrement et en termes de contenus.

A partir de ces éléments là, se posent plusieurs cas de figures.
Dans un monde idéal, les éditeurs publient de bons jeux, intéressants et variés. La presse parle de ces différents jeux, pointe les qualités et défauts de chacun et, éclairés par le regard objectif de la presse sur le sujet, les joueurs achètent ceux qui leurs correspondent le mieux. Ventes, abonnements et recettes publicitaires coulent à flot et tout ce petit monde vit en harmonie vers un nouvel age vidéoludique réminiscent. C'est le monde dans lequel voudraient que nous vivions certains ménestrels.
Mais voilà, ça ne marche pas toujours comme ça : les éditeurs ne peuvent pas avoir que de bons jeux à vendre. On investi parfois sur la mauvaise équipe, ou on est pris de cours par un éditeur rival qui vient de faire une avancée qui bouleverse les règles du genre, ou simplement on est rattrapé par la crise, les difficultés budgétaires, ou un actionnaire trop gourmand. Et là les choses se corsent, et les rapports se tendent. Une news non reprise, une preview un peu tiède, ou une mauvaise note mise à un jeu, et les ventes s'en ressentent au final.

Et là, c'est le drame.

Un éditeur un peu « avide » a alors deux moyens de pression sur une rédaction : la plus directe et visible est simplement de couper les contrats publicitaires. La rédaction perd de l'argent pour avoir mécontenté l'éditeur, et peut même se retrouver en grosse difficulté financière pour le compte. Bien sûr ça se voit et ça fait tache, mais ça sert de leçon aux autres, et si le coup est assez violent cela peut même être un moyen pour un éditeur de couler une rédaction qui se montrerait un peu trop critique à son égard, laissant le champ libre à une presse plus complaisante.
La seconde est de black-lister la rédaction : on stoppe les invitations aux soirées et voyages presse, on refuse les interviews que l'on accorde à d'autres, on oublie d'envoyer les kits de démo ou de test à temps, on met un embargo sur les images, bref, on coupe la rédaction de tout un ensemble de contenus avec lesquelles elle fait normalement son travail, la pénalisant en termes de timing par rapport aux concurrents (et au passage on ostracise les journalistes concernés par rapport à leurs confrères). La rédaction concernée perd les moyens de travailler efficacement, donc donne moins satisfaction aux lecteurs, qui finissent par aller voir ailleurs, au moins en partie. Moins de ventes, visites et abonnements, donc moins de rentrées publicitaires aussi, et le tour est joué.

En bref, cette situation de double dépendance entre la presse et les éditeurs du milieu font qu'il est particulièrement difficile pour les rédactions de pouvoir assurer leur mission sans qu'on les soupçonne de collusions ou d'être l'objet de pressions. Bien entendu jamais un éditeur n'ira faire dire à un magazine qu'un jeu terriblement mauvais est une merveille, mais cela va se jouer à la marge, un 7 qui se transforme en 8, un magazine donnant une critique dissonante par rapport aux autres (que ce soit pour de bonnes ou de mauvaises raisons) et qui va se faire « rappeler à l'ordre ». 
Alors tout de suite on en réfère à la probité personnelle des journalistes, à leur passion, à leur capacité d'indépendance. Mais même pour les plus honnêtes et droits d'entre eux, la situation n'est pas si simple que cela. Quand le fait de refuser de remonter la note d'un jeu implique la banqueroute, la fin de ce journal dans lequel vous avez investi tant de nuits blanches et de sueur, et d'envoyer vos collègues et amis, passionnés comme vous, pointer au chômage, pensez-vous que la décision soit facile à prendre ?
Toujours est-il que la presse a beaucoup à perdre dans son histoire, car si elle dépend des éditeurs qui fournissent finances et contenus, elle doit sa survie au lien de confiance qu'elle entretient avec son public. Si la presse perd la confiance du lectorat, elle est foutue, et ce ne sont pas les éditeurs qui vont la pleurer. Une presse indépendante est en effet pour les éditeurs plus un mal nécessaire qu'un appui et ces derniers auraient collectivement intérêt à faire sauter ces empêcheurs de faire de la comm en paix, ou mieux, de les museler sans que le lectorat ne s'en rende compte.

Partant de ce constat que faire ? Pour que la presse JV se retrouve à nouveau dans une vraie situation d'indépendance, nécessaire à sa crédibilité, il faudrait qu'elle se coupe de tous les liens qui peuvent la mettre en situation de faiblesse face aux éditeurs. Cela implique de renoncer à la publicité (ou au moins de trouver d'autres annonceurs, extérieurs à la publication de jeu vidéo) et de volontairement travailler sans recourir aux contenus provenant d'éditeurs, en coupant court aux leakings de previews et à l'utilisation de kits presse. La presse devrait envisager d'acheter ses jeux comme tout le monde, entre autres, et sinon ne travailler qu'à partir de contenu « public ».
C'est là que le rôle du lectorat devient essentiel. Parce que tout ceci ne peut fonctionner si en tant que lecteurs nous ne nous montrons pas à la fois plus critiques, plus exigeants et plus patients, et si nous ne nous montrons pas prêts à financer une presse vidéoludique indépendante et de qualité.
D'une part parce qu'il faudra accepter de ne pas voir dans nos revues, sites et émissions préférées toutes ces news et preview qui alimentent la période d'attente avant la sortie d'un jeu (même si les éditeurs, s'ils sont coupés de la diffusion par la presse, compenseront peut-être par plus de démos publiques). D'autre part il ne faudra plus s'attendre à avoir des critiques publiées en Day One et arrêter de se précipiter sur les jeux lors de leur sortie (je ne parle pas de ceux qui achètent en pré-commande, qui eux de toute façon n'en ont rien à faire des critiques). Au final ça ne coûte par grand chose au joueur de faire preuve d'un poil de patience, d'attendre une semaine ou deux, et comme cela d'éviter de se dire le lendemain de son achat que si on avait su on aurait mis ces 60€ sur autre chose.
Et finalement, il faut bien se dire que si la presse n'est plus financée par la publicité des éditeurs, il faudra que ce soit les lecteurs qui financent. Ce qui implique de mettre un peu la main au portefeuille. Mais bon, si l'information de qualité était gratuite, ça se saurait, les journalistes ne se nourrissent pas d'air frais et de pousses de bambous (et même le bambou, ça revient cher).


samedi 17 novembre 2012

I know these people... Please help

Lors d'une conférence donnée au CNAM en 2009, Eric Viennot avait expliqué que la première règle de la fiction totale, c'est que la fiction ne dois jamais avouer en être une, que le jeu ne dois jamais reconnaitre être un jeu. C'est visiblement à partir de ce postulat de départ que le créateur d'In Memoriam a conçu Alt-Minds, la première fiction totale, un nouveau jalon dans l'expérience transmédia.
Compte tenu de mes thèmes de recherche, il était impensable que je ne m'y penche pas, autant par curiosité personnelle (forcément un ARG de ce genre ne pouvait qu'attirer l'attention du rôliste que je suis), mais aussi pour essayer d'en analyser le fonctionnement, les ressorts, et voir où nous en sommes dans l'entremêlement entre jeu, récit, interaction, et diffusion multi-supports. Je me suis donc lancé cette semaine dans Alt-Minds, découvrant le produit avec l’œil naïf de quelqu'un qui avait malheureusement raté In Memoriam à son époque.

Je tiens à préciser d'ailleurs que ce billet n'est en rien sponsorisé par qui que ce soit. J'ai essayé le chapitre gratuit du jeu comme tout le monde et si je décide de continuer mon exploration plus avant, ce sera bien sur mes propres deniers. J'ai échangé un peu avec Eric Viennot via twitter pour éclaircir un ou deux détails techniques (et sa disponibilité en ligne est fort appréciable) mais je n'ai sinon aucun contact avec les concepteurs de l'aventure.

Ce billet étant assez long, voici déjà un résumé de mes premières impressions, que je vais détailler plus avant :
  • Est-ce que j'ai trouvé l'expérience intéressante : oui
  • Est-ce que je recommanderai à d'autres d'essayer : oui (surtout qu'il est encore largement temps de refaire le chapitre gratuit et de rattraper son retard avant le lancement de la phase 2 dans deux semaines)
  • Est-ce que c'était ce que j'attendais : non, et je vais vous dire pourquoi
En débutant Alt-Minds, je m'attendais à participer à une véritable enquête interactive, à savoir proposer des pistes, chercher des solutions, guider depuis mon ordinateur les enquêteurs de terrain, établir des théories et les discuter à l'aube de preuves nouvelles, etc. Le fait est que finalement Alt-Minds est finalement beaucoup moins interactif que cela. Il est bien possible d'envoyer des messages à Chloé, la coordinatrice de l'enquête et de faire des recherches de son coté, mais cela n'oriente aucunement l'enquête, qui semble de toute façon (en tout cas pour ce que j'ai pu en observer) dévouée à se dérouler selon un script déjà entièrement établi.
Au final le "cœur" d'Alt-Minds pourrait se résumer à un professeur Layton évolué : tous les jours sont proposés un ou deux challenges auquel il faut donner la réponses, en utilisant des outils proposés par l'interface ou en effectuant des recherches sur internet. Chaque enquêteur est alors récompensé en points en fonction de la justesse de sa réponse et de sa rapidité. Mais même si un enquêteur ne répond que des énormités, de toute façon il est considéré que la "Communauté" répond toujours juste et le récit suit son cours normalement. Et même si d'aventure un enquêteur venait à proposer (par miracle, déduction, chance ou autre) la « solution » de l'énigme, sa réponse serait très certainement mise en attente pour ne pas court-circuiter l'aventure.
A coté il est proposé également de rédiger des comptes-rendus sur certains thèmes qui semblent aussi suivre le même principe : la Fondation ira au milieu de toutes les théories proposées systématiquement celles qui conviennent à la suite du récit, quand bien même elles seraient minoritaires (il faudrait que je repasse tous les compte-rendus faits sur la première semaine pour voir combien correspondent effectivement à la thèse retenue par la fondation, et vérifier en quoi leur argumentation est assez solide pour avoir choisi cette voie là plutôt que d'autres proposées par la communauté).
Finalement, on trouve autour de la ligne principale une constellation d'annexes qui agrémentent l'univers et offrent des possibilités d'exploration supplémentaires pour les joueurs. Là encore malheureusement une pointe de déception. J'ai pris du temps pour compléter le mini-jeu proposé cette semaine (un puzzle game plutôt bien conçu, agréable à jouer et stimulant) mais le fait de le compléter n'a pas sembler apporter quoi que ce soit (ou alors j'ai raté une étape me permettant de valoriser ce que j'avais fait, parfois l'impression de jouer ).

Donc dans l'immédiat, j'ai surtout eu l'impression d'être promené le long d'un rail, avec par moment des défis/challenges à accomplir. Le voyage n'est pas désagréable du tout : il est plutôt bien réalisé (même si l'équipe a du faire quelques corrections de dernière minute, un impondérable dans ce genre de production) et beaucoup d'efforts ont été faits pour poser la narration, créer l'ambiance, pousser les enquêteurs à se prendre au jeu (les sms et les appels, les articles et les blogs sont clairement un plus immersif savoureux, d'ailleurs chapeau à Micheline). Mais on se retrouve tout de même très régulièrement confronté au fait que l'on est sur un rail, que l'on ne maîtrise pas le voyage, ce qui empêche finalement de se réapproprier l'expérience et finit par rappeler au joueur qu'il est bien face à un jeu, rétablissant en permanence le cercle magique que l'équipe d'Alt-Minds s'emploie pourtant avec tant d'efforts à briser. On sent bien entendu les impératifs techniques qui sont derrière, ces années de préparation et de tournage, l'impossibilité de tout faire en temps-réel et donc la contrainte de suivre un script de l'aventure, mais il reste dommage de voir un travail autrement si abouti manquer de peu son ultime objectif.
Heureusement, en plus du produit lui-même, et autour de celui-ci, il y a la Communauté. J'ai été au début désarçonné que cette Communauté tant citée par les protagonistes ne prenne pas davantage corps à l'intérieur même du jeu (tant que l'on reste sur le dashboard, qui est l'élément central de l'expérience, les échanges avec les autres enquêteurs sont inexistants, chacun est isolé dans une relation individuelle avec les personnages menant l'enquête), mais des forums, groupes facebook et autres moyens de communication et d'échanges se sont mis en place en parallèle et c'est là que j'ai trouvé finalement la part la plus riche de l'expérience de mon point de vue. Discussions, théories, mise en commun d'informations, tout ce que je cherchais au départ en lançant Alt-Minds a finalement pris place à sa marge. Et c'est peut-être au final l'une des grandes réussites de ce projet : donner l'ossature permettant aux joueurs de créer ensuite cet échange et ce foisonnement d'idées.


Face à tout cela en tout cas, je n'ai pas encore décidé si je poursuivrai l'aventure quand elle reprendra dans deux semaines. J'ai finalement ressenti tout au long de la semaine un mélange d'engouement et de frustration, et je n'ai pas encore tranché entre les deux. L'engouement d'une aventure bien écrite et réalisée, appuyé par la reconnaissance pour tout le travail de préparation effectué en amont pour ancrer cette fiction dans le réel face à la frustration de ne pas pouvoir complètement m'approprier l'aventure en question.
Alt-Minds restera cependant très certainement une étape, qui réserve peut-être encore des surprises (entre autre l'aspect jeu géolocalisé, qui n'est pas encore démarré), sur la voie du jeu et du récit interactif.