Dans le civil, je suis
non seulement joueur de jeu vidéo, mais aussi (surtout ?) de jeu de
rôle depuis maintenant plus d'une quinzaine d'années. Avec une
telle prédilection pour le lancer de dés, le café froid et l'odeur
du papier fraîchement gommé, je ne surprendrai personne en
racontant ici que l'une des catégories de jeu vidéo à laquelle
j'accorde le plus de temps et d'attention est le jeu de rôle
vidéoludique, que les amateurs identifient le plus souvent par le
sigle de RPG.
Donc pour commencer,
autant lever une confusion : RPG est l'abréviation de
Role-Playing Game, qui n'est rien d'autre que l'équivalent anglais
du terme Jeu De Rôle (qui donne comme abréviation JDR). Si l'on
s'en tient au sens pur, RPG et JDR désignent donc normalement la
même chose, les jeux de rôle dits « papiers » dont
Donjons et Dragons fut le premier ambassadeur en notre monde.
Cependant, pour des questions d'usage, le public français en est
venu de plus en plus à employer le terme anglais (RPG) pour parler
des jeux vidéo « de rôle » et réserver le terme
français (JDR) aux seuls jeu de rôle « papiers » ou
« sur table » (et encore je ne parlerai pas des jeux
grandeur nature et semi-réels). Cette déformation (qui en soit n'a
pas vraiment de sens) conduit parfois du coup à des quiproquos
savoureux, comme le souvenir de cette aspirante créatrice de jeu
(parce qu'il y a des joueuses de jeu de rôle, ce n'est pas une
exclusivité masculine) qui était arrivée un jour pour nous
présenter son projet merveilleux et révolutionnaire : un jeu
« à mi-chemin entre JDR et RPG ».
Bref, avec l'essor de
l'informatique et du jeu vidéo, il n'a pas fallu attendre longtemps
avant que des individus biclassés informaticien/rôliste ne commencent à
entreprendre des adaptations de leurs jeux de rôle favoris en jeu
vidéo. Toute la puissance de calcul de l'informatique contemporaine
mise au service de la résolution de jets sur des tables aléatoires
et le délicieux avantage de pouvoir jouer seul devant son écran
quand le reste des joueurs n'est pas disponible. Ce sont ces premiers
portages qui ont donné naissance au genre « RPG » sur
ordinateurs et consoles et qui, nous allons le voir, ont créé un savoureux paradoxe qui perdure encore de nos jours.
Parce qu'en fin de
compte, si l'on y réfléchit, les RPG vidéoludiques n'ont aucune
raison d'exister...
(là c'est
généralement le moment où la moitié de l'assistance se lève et
quitte la salle en maugréant « non mais il raconte n'importe
quoi ce gus, on a perdu notre temps en venant », je vais donc
poursuivre pour ceux qui restent)
Je ne dis pas que ce
genre est mauvais, loin de là, ni qu'il n'est pas divertissant. J'ai passé énormément de temps ces derniers mois sur The Witcher 2, Deus Ex : Human Revolution ou encore Skyrim. Mais
le fait est que le RPG vidéoludique tel qu'il existe actuellement
est une forme d'anachronisme, une implantation étrange de mécaniques
dont en réalité le jeu vidéo pourrait se passer, et que finalement
parfois les JDR papiers sont plus proches de certains FPS ou jeux
d'aventure que de ce que les joueurs de jeu vidéo appellent RPG.
L'objectif d'un jeu de
rôle « papier » est d'immerger les joueurs dans une
histoire dont ils interprètent les principaux personnages, usant
pour cela de mécanismes liés à la nécessité du support. Que les
joueurs interprètent de preux aventuriers médiévaux, des vampires
contemporains, des commandos d'une unité spéciale ou des stars d'un
quelconque sport, il n'existe malheureusement pas des milliers de
méthodes de résolution d'action quand on regroupe 6 personnes
autour d'une table. Le mode de fonctionnement du jeu de rôle oblige
ainsi au maintien plus ou moins adroit de certains mécanismes de
résolution. Des statistiques chiffrées servent généralement à
décrire précisément ce dont chaque personnage est capable, des dés
apportent du hasard, et la progression d'un personnage face aux
épreuves ne pouvant être représentée par l'amélioration des
compétences d'interprétation de son joueur, on emploie expérience
et niveaux (ou dépenses de points, etc.) pour donner corps à cette
progression. Tous ces mécanismes là ne servent cependant pas à
définir cette activité, ils ne sont que des éléments de mise en
œuvre. D'ailleurs certains jeux se sont débarrassés des dés avec
élégance (comme Ambre, Abyme ou Nobilis) tandis que d'autres (comme
Nephilim, dans sa 3° édition) on escamoté statistiques chiffrées
et expérience.
Le jeu vidéo permet
quand à lui de reproduire cette immersion en offrant des moyens
d’interaction différents (la parole étant remplacée par les
entrées d'un clavier, d'une manette ou autre système de capture),
en se déchargeant de tout l'aspect numérique un peu encombrant sur
la puissance de calcul de la machine, et en y apportant une
plus-value extraordinaire pour l'immersion : l'action en
temps-réel (ceux qui ont déjà passé 3 heures à résoudre une
vingtaine de secondes de combat dans un jeu de rôle papier
comprennent de quoi je parle). Plutôt que de simplement déclarer
votre intention de tirer sur cet ennemi et de laisser les dés
résoudre cela pour vous, vous pouvez directement diriger le pointeur
de votre souris vers lui. Plutôt que de lancer les dés pour savoir
si vous avez réussi à dribbler le joueur adverse, c'est directement
votre coordination manette en main qui jouera. Pourquoi s'embêter à
interrompre l'action à chaque instant pour vous demander ce que vous
voulez entreprendre quand tout peut se dérouler en temps-réel ?
Pourquoi chercher à simuler la progression des capacités de votre
avatar quand votre avancée peut être liée à la progression de vos
propres skills de joueur ? Le jeu de rôle est une activité
permettant de vivre des aventures extraordinaires sans sortir de son
salon, et le jeu vidéo propose exactement cela, le fait de refaire
du « jeu de rôle » en jeu vidéo a donc quelque chose de redondant au final, et donc peut-être superflu.
Du coup, les joueurs se divisent en deux blocs concernant ce que sont censés être ces fameux RPG vidéoludiques : d'un coté on trouve des joueurs (et visiblement une large majorité des journalistes du milieu) qui identifient comme RPG des jeux réintégrant les fameux mécanismes de simulation dont nous parlions auparavant, d'un autre coté certains joueurs (peut-être davantage des rôlistes GN/papier justement) identifient le RPG comme un genre de jeu mêlant exploration, interaction sociale et action. Au milieu de tout cela, les éditeurs nous abreuvent d'une vaste panoplie de RPG (classiques au tour par tour, action en temps-réel ou tactiques avec damiers à l'appui) qui ont généralement le bon goût de contenter les tenants des deux définitions (quoi que quand un jeu se résume à traverser des couloirs, mener des combats au tour par tour et regarder des cinématiques, peut-on encore parler de RPG ?). Personnellement vous avez déjà compris que je fais partie de la deuxième école, celle qui s'intéresse à ce que propose le jeu plus qu'à ses mécanismes. Mais il faut bien admettre que dans le discours courant, la première école semble plus répandue (d'autant que plus médiatiquement appuyée).
Du coup, les joueurs se divisent en deux blocs concernant ce que sont censés être ces fameux RPG vidéoludiques : d'un coté on trouve des joueurs (et visiblement une large majorité des journalistes du milieu) qui identifient comme RPG des jeux réintégrant les fameux mécanismes de simulation dont nous parlions auparavant, d'un autre coté certains joueurs (peut-être davantage des rôlistes GN/papier justement) identifient le RPG comme un genre de jeu mêlant exploration, interaction sociale et action. Au milieu de tout cela, les éditeurs nous abreuvent d'une vaste panoplie de RPG (classiques au tour par tour, action en temps-réel ou tactiques avec damiers à l'appui) qui ont généralement le bon goût de contenter les tenants des deux définitions (quoi que quand un jeu se résume à traverser des couloirs, mener des combats au tour par tour et regarder des cinématiques, peut-on encore parler de RPG ?). Personnellement vous avez déjà compris que je fais partie de la deuxième école, celle qui s'intéresse à ce que propose le jeu plus qu'à ses mécanismes. Mais il faut bien admettre que dans le discours courant, la première école semble plus répandue (d'autant que plus médiatiquement appuyée).
Cela conduit toutefois à
des déclarations parfois incongrues, comme par exemple que certains
jeux vidéo ont « un aspect RPG » parce qu'ils intègrent
dans leur gameplay l'idée de gagner de l'expérience et des niveaux
façon D&D (et donc Diablo 3 a un aspect plate-forme puisqu'on y
collecte des pièces d'or comme dans Super Mario Bros ?).
Personnellement je reste toujours sceptique devant ce genre
d'affirmations, qui tendent à mélanger l'objectif et le moyen, mais
il semblerait que ce soit en train de devenir un des canons
vidéoludiques de notre époque.
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerChouette article, sur lequel je tombe bien tardivement par le truchement de Merlanfrit.
RépondreSupprimerEn fait, les amateurs de CRPG à l'ancienne sont peut-être moins de vrais amateurs de RPG papier que des amateurs de jeux de stratégie / tactique qui s'ignorent.
D'ailleurs, il me semble que ces deux populations - amateurs de jeux de stratégie / tactique et amateurs de CRPG où des mécaniques de points, bonus, compétences etc. issues des RPG papiers demeurent prédominantes - finissent souvent par se recouper.